Alexandre Auboin,
Psychologue clinicien
Fondateur de Balanced Expat
Bien que le terme de « crise » d’adolescence fasse principalement référence à l’adolescent lui même, la famille est elle aussi en proie à cette crise dont elle subit souvent l’impact et les remaniements qui en découlent.
Beaucoup de parents peinent à trouver le positionnement idéal pour aider leur enfant à traverser les différentes problématiques qui caractérisent les 12-18 ans. Les relations intra-familiales sont parfois perturbées, et le lien entre parents et enfant aussi difficile qu’instable.
Garder un contact satisfaisant avec son ado implique souvent de repenser sa communication, et de s’adapter aux différentes phases de changements qu’il traverse et qui influencent son humeur, ses représentations, comportements, et plus généralement sa santé mentale.
L’adolescence est la période de construction de l’indépendance. Le parent est tour à tour perçu comme une source d’aide et de stabilité, puis comme un obstacle à l’indépendance. Or, il est de ce fait plus difficile de conserver un rôle protecteur à l’égard des adolescents tant les limites peuvent être considérées comme illégitimes ou étouffantes par ces derniers.
La période des 12-18 ans est très propice aux comportements à risques et premiers usages de drogues. La consommation de cannabis, ou encore les conduites d’alcoolisation massive (binge drinking) sont particulièrement courants au sein de cette population.
Alors comment se positionner en tant que parents pour prévenir ces conduites, protéger et aider votre ado?
Je vous propose au sein de ce court article de développer un positionnement afin de faciliter les repères et décisions des parents vis à vis des situations à risques de leur enfant. Cette approche, c’est la « stratégie de la balise »:
A proximité des plages, en mer, vous pouvez constater la présence de bouées appelées également balises. Leur rôle est notamment de signaler la limite à partir de laquelle la nage devient dangereuse, et d’offrir un rôle de soutien en cas de difficultés à rejoindre le rivage.
La balise est en ce sens, le parfait symbole de la fonction parentale à l’adolescence vis à vis des conduites à risques: Offrir un signal, une aide, tout en faisant appel à la responsabilité de l’individu.
Tout d’abord, soyons clair, aucun positionnement adulte ne permettra de prévenir cent pourcents des risques chez leur adolescent. Etre aidant et soutenant envers son ado implique paradoxalement de ne pas être trop contrôlant, et d’accepter le risque comme faisant partie du processus de développement normal de son enfant.
Pour en revenir à la métaphore de la balise, l’objectif ne doit pas être d’interdire la nage elle même, malgré les risques qu’elle comporte, mais plutôt d’offrir les outils et repères nécessaires pour sécuriser le comportement. Un nageur inexpérimenté qui se lance pour la première fois en mer, risque de nager trop loin si aucune balise ne lui signal la limite dangereuse.
Pour les ados, le principe est le même. Aucun parent ne peut réellement empêcher son enfant d’essayer le cannabis, de consommer de l’alcool à diverses occasions par exemple. En revanche, si aucun discours préventif n’est effectué, l’ado en question ne saura pas où la limite se situe, où le risque débute réellement.
Le discours parental doit donc jouer ce rôle de balise au milieu de cet océan de nouvelles expériences afin d’éviter une perte de contrôle totale, ou une prise de risque maximale de la part de leur enfant.
Ce discours se doit naturellement d’être adapté pour porter ses fruits. Un discours alarmiste reviendrait à placer la balise à 5 mètres de la plage, et serait ainsi ignoré.
Le cannabis ou l’alcool comportent des risques qui doivent être discutés, notamment en ce qui concerne la quantité et la régularité, ainsi que les conséquences possibles sur la santé et l’équilibre mental. Mais en aucun cas, un discours présentant ces mêmes substances comme « diaboliques » ne protégera un adolescent, car celui ci remettra rapidement en question cette représentation avant de cesser de vous écouter tout simplement…
« Poser » une balise dans la tête de son ado nécessite d’entretenir une bonne communication. Il faut pouvoir parler des problèmes, parler de « ce qui fâche ». Il faut être capable de parler de ce qui compose la vie des jeunes actuels, y compris ce que l’on ne souhaite pas voir, ce qui nous angoisse…
La jeunesse est confrontée de plus en plus tôt à la question des drogues, du sexe, du harcèlement en ligne, de l’alcool. Ces sujets sont difficiles, et nombre de parents ne s’y risquent que rarement, ou adoptent un discours rigide qui est assimilé par leur ados à du rejet de ces sujets. Or, pour prévenir et offrir son aide efficacement, il faut pouvoir en parler, informer, et montrer qu’aucun sujet n’est exclu ou interdit si besoin est.
Gardons cependant à l’esprit qu’une balise n’est pas une barrière. Le choix de dépassement d’une balise appartient donc au concerné, qui aura la possibilité de la franchir si il le décide. Mais c’est justement là toute son utilité! Les limites rigides sont souvent vécues comme des prisons par les adolescents, qui ne les intègrent pas comme protectrices. Le risque est alors qu’ils les franchissent à la première occasion.
Au contraire, les limites au sens des repères, lorsqu’elles sont expliquées, sans pour autant priver de la liberté de faire ses propres expériences, sont souvent apprises et gardées à l’age adulte comme des limites « fiables ». Autrement dit, la prévention doit avoir pour objectif de permettre à l’ado de faire ses expériences par lui même, en lui permettant de se protéger par le biais des informations préventives et du soutien parental.
Il faut ensuite rappeler que la période des 12-18 ans est une période marquée par le franchissement ou le testing des limites. Cela leur permet tout d’abord d’intégrer ces mêmes limites et de tester leur validité en s’y confrontant. Cela marque aussi une tentative d’affranchissement des règles parentales dans un but d’indépendance.
Ainsi, lorsqu’une balise est bien placée, l’adolescent aura tendance à chercher à la franchir malgré tout, mais de moins loin. Il gardera la balise en vue, et aura conscience qu’il prend un risque lorsqu’il la franchie. Par exemple, un adolescent qui connait les dangers de l’alcool, et qui peut en discuter librement avec ses parents, s’alcoolisera tout de même lors de soirées entre amis par exemple. En revanche, il aura conscience du risque en question, et sera plus à même de faire appel à sa propre responsabilité et ses connaissances pour se limiter et se protéger en allant « pas trop loin ».
Mais une fois la balise posée, une fois l’aide et l’écoute apportées, doit on accepter tout les comportements? Non, bien entendu! Etre parents, c’est aussi poser des règles et limites claires, sur ce qui est acceptable ou non. Il ne faut pas hésiter à exprimer son désaccord. Tout conflit n’est pas le symptôme d’un échec sur le plan éducatif heureusement.
Exprimer son désaccord quant aux conduites à risques et consommations de substances, sont autant d’attitudes parentales qui contribueront à la structuration de votre ado à condition qu’elles soient expliquées. Le respect de ces règles de santé viendra avec le temps.
C’est d’ailleurs là que se situent les difficultés majeurs de la parentalité durant cette période. A l’adolescence, les comportements sont plus impulsifs, plus provocateurs également. Bien qu’il soit important de proposer une écoute et une tolérance certaine, il est tout aussi vital de démontrer des limites claires et identifiables, des règles non négociables qui garantissent la sécurité et la santé du jeune et de la famille.
Ainsi, expliquer à son ado que vous ne voulez pas qu’il fume par exemple, est une règles claire que votre enfant sera en mesure de comprendre. Cela ne signifie pas qu’il ne consommera pas lorsqu’il sera hors de votre vue, mais il saura que vous désapprouvez, sans pour autant le rejeter en cas de problème.
Le but est donc de créer une cohérence entre votre discours et vos règles. Accepter le dialogue et offrir son aide ne signifie pas accepter tout comportement. Prévenir les risques du cannabis implique de désapprouver sa consommation par exemple, sans pour autant lui interdire d’en parler.
Enfin cette stratégie de la balise implique de la patience. Les fruits de ce positionnement parental se récolteront avec le temps, et c’est progressivement que votre adolescent s’en saisira efficacement. Il pourra au fur et à mesure se rendre compte de votre rôle aidant, intégrer les repères, vous faire confiance, tout en développant sa propre responsabilité et contrôle de soi. A l’image de la balise, le but étant de protéger les « nageurs » responsables, en les aidants à identifier les conduites sûres.
Bien qu’il puisse être frustrant en tant que mère ou père de constater que la jeunesse se confronte parfois à des conduites inquiétantes, la meilleur façon de guider un jeune reste de lui offrir l’écoute, les informations préventives et la confiance dont il aura besoin pour se construire et intégrer ses propres repères afin de se protéger.
Quelques ouvrages pour aller plus loin:
Adolescents et cannabis: Que faire? Jean-Pierre Couteron, Muriel Lascaux, Aude Stehelin, Dunod 2017.
Parler aux ados pour qu’ils écoutent, les écouter pour qu’ils parlent, A. Faber et E. Mazlish 2008
Comportements de prise de risque à l’adolescence, Gregory Michel, Monography 1999